Moutons noirs
Vu de loin ça ressemble à un nuage de mousse au chocolat…
Ce jour, vendredi douze (pas treize, ouf !) un ami, pilote m’invite à faire quelques brassées dans Le ciel varois. Rendez-vous est donc pris av. dixième coup du beffroi sur la base de Forum julii. Albert est un homme qui, se souvient de L’entrevue de Bayonne ; Pour cela il voue éternelle reconnaissance à L’empereur qui, en 1808, su faire abdiquer l’Espagnol. Oui, Albert, suivre La route Napoléon c’est entrer Mans L’histoire ! Notre retraité tout bronzé, en short et chemisette a ouvert toutes grandes les -portes de son paradis; il caresse de la main son bel oiseau mécanique puis, comme Hercule, il s’attèle au grand chariot. Sir Tayron-A glisse sur le sol afin de dégourdir ses nouvelles jambes de force.
Derrière le hangar, à quelques pas de Là, les Langues se réchauffent : L’une explique son retour sans histoire de Sisteron (à moins que ce ne soit de Manosque ?), elle nous fait baver des ronds de chapeaux devant L’attitude fraternelle des contrôleurs de vol à son égard. (Derrière son dos une grosse voix bougonne : «Ah, Les sales cons ! »).L’autre se tâte -pour se décider à prendre ou non son envol vers L’inconnu. Elle scrute Le voile des altostratus en déroute sous le souffle quinteux d’une Éole asthmatique ; et de conclure : « pile j’y vais, face, vals, face, j’vais faire un château de sable… »
Nos ceintures sont bouclées. Maître Rotax s’éclaircit La voix avant une envolée lyrique. Dans Les ailes, au creux des réservoirs, Le carburant s’en balance pas mal. Ce qu’il veut, lui, c’est polluer; un point, c’est tout ! L’avion d’Albert décolle aussi bien que n’importe quel avion en papier dans une classe oie collège. Mon commandant de bord m’élève au grade de Navigateur et, pour faciliter ma tâche, il décide : « puisqu’il fait beau, allons où le vent nous pousse», alors il me confie le manche et les pédales. Sir Tayron est placide et obéissant mais il n’aime pas Les crabes et me prie (avec insistance) de mettre du pied à droite, je m’exécute ; et ça fait tellement plaisir grimpe aux rideaux des gorges de Pennafort, joue à saute-mouton sur La ligne des électrons immigrés de Carros, puis se mire dans les eaux troubles du bassin de la Catalane. Près du zénith Râ rit de tous ses rayons et s’en va-à La chasse aux des « nuageons ». On décoiffe les clochers des villages, ici à Ampus, là à Aups, plus Loin à Moissac–Bellevue. Derrière son cadran, l’aiguille de L’altimètre prend son pied, trois mille fois. L’eau verte du Lac me fait songer à un bon apéritif, j’en bave, apéritif, (pourquoi pas un perroquet avec glaçons et olives farcies ?) J’en bave et propose à L’Albert de rentrer au Bercail.
Mais il a une autre idée, mon commandant de bord. IL envisage sans le moindre souci d’imiter Édouard martel et de remonter Les gorges pour apporter un point sublime à notre escapade. Que fait Le bleu devant L’Ancien ? Il opine du calot et dit : « opine du calot et dit : « oui chef, bien chef ! » Sans me concerter (avec moi-même) j’ai abandonné les commandes et me suis emparé de la carte qui se trouvait là… par hasard. !L semble qu’il y ait beaucoup de montagnes sur la page ouverte. A La vue des courbes de niveau blotties les unes contre Les autres, serrées comme moutons en bergerie, mes cheveux prennent un méchant coup de sueur. La carte est bien faite : Les massifs les plus pervers ont été surlignés par un méchant eye-liner bistre. Mon enthousiasme plonge avec la température ambiante. Toutefois, -pour être un navigateur à La hauteur je note dois de connaître l’altitude du lieu ; je déchiffre au hasard : « CoL de la Croix de Chateauneuf : 1042 ; crête de Berberé : 1771… » Bon, c’est pas L’Himalaya, affirme mon, cerveau qui manque déjà d’oxygène. Quelques synapses -plus loin, je réalise qu’a faut multiplier -par trois et des poussières et que notre altimètre risque d’avoir la fièvre; bah, il ne va pas s’affoler pour digérer les quelques six thousand feet de sa gracieuse Majesté. La perspective de l’altitude, l’agressivité du relief, les nuages qui cachent le sol ont rafraichi mon haleine et exacerbé mon sens de l’esthétique; et, -pour tout dire, mon Dieu que Le paysage est grandiose dans ces Alpes de Haute Provence où. Le Verdon se cache dans des gorges profondes, si profondes qu’elles rendraient jalouse Samantha FOX elle-même !
Contrariés par quelques éperons rocheux, on flirte, on caresse, on égratigne, on pénètre sans retenue dans le camp militaire. Un peu surpris je ne détecte aucun dispositif de D.C.A. ni l’ombre d’un trouffion en treillis armé d’une 12,7. On a du -pot, c’est sûr ! Albert, de son côté recherche en vain un troupeau de ruminants ou à la rigueur… un Loup ! (ça ferait bien en rentrant à la base de dire qu’on a vu des Pierre(s) et Le Loup !) Pour Le consoler, je lui -propose Les images pieuses du Mandarom de Castellane. Il écarquille Les jeux qui se teintent de vert, parce qu’il est midi, ou parce que l’on survole CastilLon puis son barrage vertigineux. Vers l’est la crête du Teillon est surmontée d’une capuche de laine blanche qui enfle, qui enfle.
Droit devant sur la montagne de Lachens un troupeau, que dis-je, une horde Me moutons blancs et gris dévore Le paysage : « IL faudra passer dessous » dit Le pilote, contrarié mais confiant. Moteur réduit, nous plongeons vers la route N85 à la rencontre de L’Empereur. En bas, dans son Logis, le pin de Séranon se fout de notre gueule, ouvertement ! Devant nous, à quelques kilomètres une montagne de nuages sombres s’accroche à La crête de l’Audibergue et s’élève, poussée par le vent d’Italie. «Fonce, droit devant, Le col de Valferrière, -puis à droite plein sud vers Mons ! » Calme comme s’il jouait au golf mon pilote pousse sa mécanique ; On voit Escragnolles le berceau du Général François MIREUR qui disparait happé par la légion de des cumulus mange-tout infranchissable ! 360° à droite : Les moutons noirs de notre jour de chance sur les talons, nous retrouvons la -plaine de Caille. Quel joli nom pour encourager tout ULM en quête d’un -port d’attache ! Je sens très fort que Le cœur de notre coucou est -prêt à emprunter le nid de la belle caille. Cependant Les routes oie l’orient m’ont toujours fasciné, et puis, pour quelques dollars de plus, on pourrait s’offrir Cipières et son loup d’écume. Puisque, décidément c’est votre jour de chance, il ne pleut pas. Pas La plus petite gouttelette ne s’échappe de La panse ventrue des noires nuées envahissantes. L’avion repère enfin son ére de repos, joli rectangle d’herbe rase où. des balises claires ont poussé comme des lépiotes sur une trainée de bouse de vache. Pour vous permettre de mémoriser ; à droite une armée de nuages ; au fond une barrière de …nuages du gros Pounch. Ça va ? Pigé ? Albert a pigé, lui. Il survole la Ligne électrique puis, tous volets sortis il se paye une glissade de demeuré, exécute un arrondi, digne d’André Turcat et immobilise son prince des nuées sur Le taxiway garni de chardons et -parfumé au pèbre d’ail ». Le moteur s’est tu; Le vent cerne Le cockpit dans lequel deux jeunes septuagénaires se congratulent et boutonnent leurs chemises en claquant des dents : il vient vite, le mauvais temps en montagne.
En y réfléchissant davantage je songe que, à la mi-septembre, à mille mètres d’altitude, sous d’épais nuages noirs balayés -par quelques rafales, la température doit nécessairement rentrer dans sa coquille. ALbert manque d’embonpoint ; forcément il se pèle l’oignon; nous nous hâtons vers ma Cabane située à mi-piste, pas très loin du Quebec libre. Pas un chat, pas le moindre P’loup ; nous faisons aubade sous les volets clos, espérant éveiller quelque grimlin échappé de Poudlard… Rien, pas la plus humble Lorelei ni (à la rigueur) le beau Tarzan, blond et tatoué ! Par contre, comme dans tout refuge de haute montagne, l’huis n’est -pas clos. Depuis longtemps l’idée d’un poulet aux olives à déserté nos cerveaux ; Quatre biscuits nous tendent leurs ronds de chocolat : c’est anglais… mais c’est bon ! (c’est Mc Vittie’s)
Lui-même) je sors pour observer le ciel. Une trouée dans la couverture laisse couler trois rayons de soleil : j’en profite illico et m’installe sur l’herbette. Il fait bon ; il fait chaud. Songez qu’on est en Provence et toujours en été ! Doigts de pieds en éventail, je me laisse dorer comme -poulet en broche… Pendant ce temps de délicieux farniente un téléphone, soucieux du proche avenir, s’enquiert pour La nième fois de La météo locale : (Soleil généreux et beau temps sur Cannes, Fréjus, Fayence… » affirme en grésillant Le disque préposé. Albert pointe son nez vers les nuages et il pisse comme je pleure sur La météo infidèle qui nous a enfarinés puis plongés dans un tel pétrin. Le mauvais temps ne dure jamais sur la Côte d’Azur; d’un commun accord nous décidons d’aller à la recherche d’hypothétiques mais improbables sanguins (ou des vesse-de-Loup, -propose mon vieux Loup de mer qui ignorant les lycoperdon, recherche toujours canidé affamé). Bredouilles nous retrouvons la manche a air qui s’épuise dans une folle farandole. Sur Le coup du five-o-clock une déchirure se fait au-dessus de La Moulière ; La lucarne du ciel bleu nous attire comme la bougie attire Le grand paon de nuit. Il est beau ce Lac de Saint Cassien, tu ne trouves pas ? »
Cette histoire a été inspirée de faits. réels :
Elle est crédible et t authentique, du moins autant que les œillets pouvaient être des trous dans les guêtres de l’amoureux de Manon… Et puis, un si beau voyage, ça ne s’invente pas : ça se vit !
P.S. Un remerciement particulier aux installations d’Alpes d’Azur qui nous ont accueillis à « portes ouvertes » au moment où notre moral plongeait dans nos chaussettes.
Amis invisibles, André vous Le dit : « Méfiez-vous toujours des entrées maritimes ! » puis il vous salue, depuis son gite, ce vendredi, douze septembre deux mille quatorze.
M MIREUR André (Base ULM de Fréjus)